Le fait que l’autorité italienne de la concurrence (« AGCM ») ait pris des mesures vigoureuses pour contrer les pratiques commerciales déloyales exploitant la pandémie de Covid-19 est bien connu et a déjà fait l’objet de commentaires. Néanmoins, deux décisions spécifiques – Oxystore (PS11732) et Tigershop (PS11736) – soulignent une caractéristique particulière de la position adoptée par l’AGCM, à savoir l’accent mis sur l’augmentation des prix appliqués aux ventes de produits liés au Covid-19. Le phénomène des augmentations de prix est également l’une des préoccupations soulevées par l’AGCM dans ses enquêtes en cours sur les pratiques déloyales à l’encontre d’Amazon et d’eBay en relation avec les ventes de dispositifs médicaux de protection sur leurs marketplaces, comme rapporté par l’autorité dans un communiqué de presse du 12 mars.
Le point commun de ces enquêtes est notamment qu’elles ont apparemment été lancées dans le cadre des règles communautaires de protection des consommateurs en matière de pratiques commerciales déloyales (Directive 2005/29/CE), dont la mise en œuvre dans les États membres est soumise à un principe d’« harmonisation complète ». En outre, l’AGCM a récemment annoncé qu’elle est en train d’envoyer des demandes de renseignements et de mener un contrôle des prix de plusieurs cliniques proposant des tests de diagnostic pour le Covid-19 à un prix « disproportionnellement » supérieur au prix recommandé pour ces tests dans les lignes directrices publiées par la région Latium. Cependant, il existe une incertitude sur la disposition législative sur laquelle l’AGCM s’appuie pour surveiller, et éventuellement sanctionner, les hausses de prix des tests de diagnostic non réglementés.
Bien qu’à première vue, l’adoption de mesures provisoires par l’AGCM en ce qui concerne les augmentations excessives des prix des biens essentiels puisse sembler justifiée dans le contexte de la pandémie de Covid-19, il convient de noter que, dans le cadre législatif de la protection des consommateurs, il n’existe pas en Italie de règles interdisant les augmentations de prix en tant que telles. En effet, en vertu de la loi italienne et du cadre constitutionnel, comme dans la plupart des pays à économie de marché, aucune autorité ne peut en principe intervenir dans la décision d’une entreprise privée concernant les prix des biens ou des services, sauf (i) dans des secteurs spécifiques où les prix sont expressément réglementés pour des raisons impérieuses d’intérêt public (par exemple énergie, certains médicaments, taxis) ; (ii) lorsqu’une entreprise occupe une position dominante sur un marché donné (auquel cas une tarification excessive peut être considérée comme un abus en soi en vertu de l’article 102 TFUE ou de son équivalent national) ; (iii) si l’augmentation de prix est l’objet ou le résultat d’une collusion anticoncurrentielle avec des concurrents (article 101 TFUE ou son équivalent national) ; ou (iv) si elle résulte d’un comportement criminel sous-jacent (fraude, truquage des offres dans les appels d’offres publics, délit d’initié, et ainsi de suite)[1].
En tout état de cause, différemment des États-Unis, où plusieurs États disposent déjà de lois visant expressément à limiter les hausses de prix de certains produits essentiels, en particulier dans les situations d’urgence[2], des règles spécifiques limitant les hausses de prix des produits essentiels n’ont pas été introduites en Italie jusqu’à présent, pas même dans les lois d’urgence approuvées depuis le début de la pandémie[3].
À la lumière de ce qui précède, les questions suivantes se posent : l’AGCM tente-t-elle de qualifier les augmentations excessives des prix des biens essentiels liés à la pandémie de Covid-19 de pratiques commerciales déloyales/agressives en soi afin de sanctionner des comportements préjudiciables qui ne relèveraient pas autrement de sa mission statutaire ? Ou bien l’AGCM se contente-t-elle d’inclure les hausses de prix comme un élément aggravant de pratiques déloyales autonomes (telles que la fourniture d’informations trompeuses) qui peuvent justifier des mesures provisoires pour mettre fin à la conduite en question de manière urgente ?
La première question pourrait recevoir une réponse affirmative si l’on considère isolément certains paragraphes des décisions d’imposer des mesures provisoires à l’encontre d’Oxystore et de Tigershop. Toutefois, une analyse plus approfondie du droit applicable et de ces décisions révèle que l’AGCM conteste les pratiques trompeuses traditionnelles, bien qu’intégrées ou aggravées par le fait que ces pratiques visent à vendre à des prix plus élevés en exploitant une situation d’urgence ou de crise.
Dans l’affaire Oxystore, l’AGCM a notamment contesté la vente par le biais du site www.oxystore.it de masques à des prix excessivement élevés (plus de 1 EUR contre moins de 10 centimes avant l’urgence). Selon le raisonnement de l’autorité, « l’augmentation du prix des masques est susceptible d’inciter les consommateurs, par un conditionnement excessif, à décider d’acheter ces masques à des prix plus élevés, compte tenu notamment de l’état de faiblesse accrue des consommateurs et de leur inquiétude quant à la propagation rapide du virus et à la difficulté de trouver le produit ». Par conséquent, sur la base de cette décision, il apparaît que l’AGCM caractérise les augmentations de prix comme une « exploitation par le professionnel de tout événement tragique ou de toute circonstance spécifique d’une gravité telle qu’elle altère le jugement du consommateur afin d’influencer sa décision concernant le produit ». Cette pratique est expressément interdite par l’art. 25, al. 1, let. c) du Code de la consommation[4] (Décret législatif n° 206/2005).
Alors que l’AGCM fait référence de manière générique à un « conditionnement excessif » causé par l’augmentation du prix des masques, la partie préliminaire de la décision (qui consiste en une motivation sommaire typique des décisions provisoires) fait état de diverses allégations prétendument trompeuses ou exagérées du commerçant suggérant une efficacité anti-Covid spécifique des produits vendus.
De même, dans l’affaire Tigershop, l’AGCM a contesté la vente de masques à des prix majorés, associés à une indication de la rareté des produits en stock. Dans cette affaire, le commerçant augmentait les prix et utilisait des allégations telles que « dernières pièces disponibles » pour pousser les consommateurs à acheter ses produits. Dans ce scénario, l’AGCM a lié les hausses de prix à une pratique illicite expressément sanctionnée par le Code de la consommation en vertu de l’art. 23, al. 1, lettre. t), qui consiste à « communiquer des informations erronées sur les conditions du marché ou sur la possibilité d’obtenir un certain produit pour inciter les consommateurs à acheter les produits à des conditions moins favorables que les conditions normales du marché ». Dans ce cas également, l’AGCM utilise donc les augmentations de prix comme une mesure supplémentaire et constitutive ou aggravante pour démontrer la violation commise par l’entreprise par une forme spécifique de pratique trompeuse ou agressive.
Par conséquent, si l’on examine le raisonnement général de l’AGCM dans ces décisions, l’infraction contestée ne semble pas être déclenchée par la seule augmentation « disproportionnée » des prix (car il est peu probable que cette seule augmentation puisse induire les consommateurs en erreur et les inciter à effectuer des achats qu’ils ne feraient pas autrement), mais plutôt par la combinaison d’allégations trompeuses et de l’application d’un prix sensiblement supérieur au prix moyen appliqué avant l’urgence.
En d’autres termes, on peut conclure que l’augmentation de prix ne peut à elle seule constituer une pratique trompeuse ou agressive per se au regard du droit italien de la consommation, même en cas d’urgence et pour des articles essentiels. Toutefois, elle peut rendre un comportement trompeur particulièrement préjudiciable pour les consommateurs et, par conséquent, élever le niveau de diligence requis par l’AGCM pour dégager les entreprises de leur obligation de fournir des informations correctes aux consommateurs.
Remarques finales et à quoi s’attendre
Pour conclure et donner une idée de l’orientation de la politique d’application suivie par l’AGCM en ce qui concerne les prix abusifs: comme l’AGCM ne dispose pas de pouvoirs statutaires lui permettant de sanctionner directement des augmentations de prix unilatérales et indépendantes sur des articles essentiels pour surmonter l’urgence, elle est disposée à interpréter la notion traditionnelle de pratique « déloyale » ou « agressive » de manière assez large chaque fois qu’elle repère des prix excessifs pour des produits liés au Covid-19. À cette fin, elle pourrait, peut-être, être tentée de l’utiliser pour sanctionner des pratiques qui n’auraient pas été jugées déloyales dans des circonstances normales. De cette façon, l’AGCM peut exercer une certaine pression sur les vendeurs de produits essentiels pour qu’ils maintiennent leurs prix bas, comme une forme de politique agressive de « moral suasion ».
Les enquêtes annoncées sur les marchés Amazon et eBay et le prix des tests de diagnostic des coronavirus suggèrent que l’AGCM pourrait envisager d’aller plus loin. En repoussant les limites de ce qui est considéré comme des pratiques « trompeuses » ou « agressives » en temps d’urgence, l’AGCM pourrait être tentée d’étendre ses pouvoirs en matière de droit de la consommation au domaine de la tarification algorithmique, en se concentrant sur les pratiques de tarification potentiellement discriminatoires ou déloyales causées par l’utilisation d’algorithmes qui suggèrent et ajustent automatiquement les prix sur les marchés en ligne (en fonction d’éléments tels que les poussées de la demande ou la volonté des consommateurs de payer).
À titre d’exemple, en l’absence de règles spécifiques visant à interdire les pratiques de prix abusifs, au moins dans des circonstances d’urgence, on pourrait s’attendre à ce que l’AGCM considère comme « agressive » ou « trompeuse », en vertu du Code de la consommation, toute offre d’articles essentiels à un prix dépassant de manière significative le prix recommandé comme « juste » par une entité publique ou une institution indépendante (comme la région Latium), à moins que le commerçant n’avertisse le public (de manière visible et « au premier contact » avec les consommateurs) que le prix dépasse effectivement (ou pourrait dépasser) la référence indiquée par un ou plusieurs organismes indépendants pour l’article en question. Cela pourrait être un moyen efficace pour l’AGCM de mettre un frein à l’augmentation de prix des articles essentiels dans la lutte contre la Covid-19 sans aller au-delà du principe d’harmonisation totale sur lequel est fondée la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales (2005/29/CE), ainsi que de ses pouvoirs statutaires.
[1] Voir ici et ici pour les commentaires précédents sur les problématiques communes au droit de la concurrence et au droit pénal en Italie.
[2] Une description récente de ce cadre aux États-Unis a été publiée ici par Competition Policy International
[3] Dans le sillage de la législation d’urgence liée au Covid-19, le gouvernement italien a tenté d’introduire une disposition spécifique qui qualifie de pratique commerciale déloyale le fait de tirer profit, dans un contexte d’urgence sociale ou en exploitant tout événement tragique, des augmentations de prix de produits ou de biens de santé pour les besoins primaires ou la sécurité des consommateurs si le prix de vente est augmenté de plus de trois fois le prix moyen appliqué au cours du mois précédant la vente. Curieusement, alors que cette disposition figurait dans les premiers projets du décret sur l’état d’urgence, elle n’a pas été intégrée dans le texte final.
[4] L’article 25, paragraphe 1, lettre c) du Code de la consommation est libellé comme suit «Pour déterminer si une pratique commerciale implique, […], le harcèlement, la contrainte, y compris l’usage de la force physique, ou une influence injustifiée, les éléments suivants sont pris en compte : […] c) l’exploitation par le professionnel de tout événement tragique ou de toute circonstance particulière d’une gravité telle qu’elle altère le jugement du consommateur afin d’influencer sa décision à l’égard du produit».