COVID-19 et droits de la propriété industrielle: production de valves respiratoires vitales à l’aide d’imprimantes 3D

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L’urgence sanitaire de la COVID-19 crée de nouveaux défis pour la règle juridique. La récente production de valves respiratoires par un hôpital à l’aide d’une imprimante 3D a suscité une réflexion sur les droits de propriété intellectuelle.

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Le 13 mars 2020, l’hôpital de Chiari (province de Brescia, Italie) a subi une (nouvelle) urgence causée par la pandémie de COVID-19. L’hôpital a été confronté à une pénurie de valves utilisées dans les respirateurs automatiques nécessaires pour traiter les patients gravement malades souffrant d’insuffisance respiratoire. Les fournitures nécessaires ont été demandées, mais le fabricant fournissant l’hôpital (le « Fournisseur ») n’a pas pu répondre aux besoins, car il avait rapidement épuisé sa production de ces valves et aucun matériau supplémentaire n’était en stock, et il n’y avait donc pas de valves disponibles à envoyer à l’hôpital.

Cependant, étant donné les circonstances et le besoin critique de ces valves, deux jeunes ingénieurs italiens se sont portés volontaires pour aider l’hôpital et ont pu résoudre le problème posé par la pénurie de valves en les imprimant et en les produisant à l’aide d’une imprimante 3D.

Ils ont demandé les plans au Fournisseur, mais ce dernier a refusé de les partager car les documents de conception concernent un dispositif breveté. Les deux ingénieurs ont donc analysé l’une des valves originales (en termes de conception et de dimensions) et ont utilisé leur imprimante 3D pour créer des copies des valves protégées par le brevet.

Ce qui précède nous amène à examiner et à analyser les implications de l’impression en 3D en termes de droits de propriété industrielle (« droits de PI »).

L’impression 3D est une technique de fabrication innovante dont l’invention remonte aux années 1980. Cette technologie fonctionne grâce à un modèle numérique de « conception assistée par ordinateur », créé par l’homme à l’aide d’un logiciel de CAO spécifique. Ce modèle numérique est ensuite envoyé à une imprimante qui, sur la base des indications reçues, dépose une couche du matériau sélectionné (sous forme liquide ou de poudre) par-dessus l’autre jusqu’à ce que l’objet souhaité soit terminé. Grâce à ces caractéristiques spécifiques, une imprimante 3D est capable de produire n’importe quel objet de n’importe quelle forme : cette technique est par exemple largement utilisée dans le domaine biomédical, où il est possible de modéliser sur ordinateur des objets tels que des prothèses sur mesure, puis de les imprimer en trois dimensions.

D’une part, les avantages en termes d’augmentation de la capacité de production et de réduction des coûts pour les entreprises sont incontestables. D’autre part, les imprimantes 3D présentent un risque important de contrefaçon pour les titulaires de droits de PI sur les objets qui sont imprimés à l’aide de cette technique, par exemple la protection par brevet. À cet égard, il est important de rappeler qu’en vertu de l’Article 67 du Code Italien de la Propriété Industrielle (« CPI »), le titulaire d’un brevet est autorisé à interdire à des tiers de produire, d’utiliser, de commercialiser, de vendre ou d’importer le produit en question à de telles fins sans son consentement exprès. En conséquence, il est clair que l’activité d’impression en 3D peut être considérée comme une violation des droits de brevet, entre autres.

Selon d’éminents commentateurs italiens[1], l’utilisation d’imprimantes 3D pour produire des articles couverts par la protection par brevet ne relève d’aucune des exceptions établies par le CPI, à moins qu’elle ne relève spécifiquement du champ d’application de l’Article 68 du CPI. Cette disposition identifie les circonstances spécifiques dans lesquelles la mise en œuvre d’un article protégé par un brevet n’est pas considérée comme illégale : en bref, et c’est le cas ici, cela se produit si l’article couvert par la protection par brevet est utilisé à des fins privées et non commerciales uniquement, ou à des fins expérimentales.

Sur la base de ce qui précède, la question de savoir si une violation des droits de PI aurait pu se produire en relation avec l’impression en 3D de valves respiratoires, peut être considérée comme légitime à la lumière des dispositions du CPI[2].

La législation britannique sur les brevets établit ce qu’on appelle l’« exception de la Couronne »[3]. Celle-ci permet au gouvernement britannique d’autoriser des tiers à faire usage de tout droit de brevet sans l’autorisation préalable du titulaire du brevet, dans la mesure où ils le font « pour les services de la Couronne »[4], ce qui peut inclure les situations d’urgence sanitaire qui nécessitent l’adoption de mesures spéciales. Le titulaire du brevet est indemnisé de manière appropriée par la suite, par négociation avec le ministère compétent, et l’autorisation du gouvernement pour l’utilisation peut être donnée rétroactivement.

En l’absence de toute disposition correspondant à l’« exception de la Couronne » dans le CPI, la seule exception aux droits de brevet est celle déjà mentionnée à l’Article 68 du CPI : laissant de côté l’ « exception d’usage privé »[5], l’Article 68.b) du CPI[6] établit que la protection par brevet ne couvre pas l’utilisation d’éléments brevetés dans le cadre d’études et d’activités expérimentales visant à découvrir de nouveaux produits pharmaceutiques. Cette règle a pour but de permettre le progrès dans le secteur pharmaceutique et médical et elle est consacrée à l’objectif ultime de protection de la santé et du bien-être des citoyens italiens, conformément au droit fondamental établi par l’Article 32 de la Constitution italienne[7].

Par conséquent, cette règle s’inspire du principe général du droit à la santé, mais uniquement dans le sens où les droits de PI ne peuvent constituer un obstacle au progrès scientifique et technologique tant qu’ils sont axés sur la découverte de nouveaux moyens de protéger plus efficacement la santé humaine.

L’un des deux ingénieurs qui ont produit les valves à l’aide de l’imprimante 3D a précisé qu’ils ont agi « uniquement pour faire face à l’urgence »[8], sans aucune intention d’exploiter cette situation « au-delà de la stricte nécessité »[9]. Le fait est que le CPI ne contient pas spécifiquement et/ou ne fait pas référence à cette situation de « stricte nécessité », comme le type d’urgence sanitaire généralisée à laquelle nous assistons actuellement.

La question ouverte est donc de savoir si ce droit fondamental à la santé pourrait être invoqué pour justifier de facto une violation des droits de PI causée par la situation actuelle de demande fortement accrue d’approvisionnement en articles de soins de santé qui sont en rupture de stock et rendus absolument nécessaires en raison de la COVID-19, ce qui conduirait à aller au-delà de l’interprétation littérale de l’article 68(b) du CPI.

En conclusion, il existe de nombreux phénomènes et situations qui occasionnent un questionnement sur les normes juridiques et nous obligent à réfléchir à l’adéquation des régimes juridiques existants. Nous avons connu des secousses importantes avec la montée en puissance des nouvelles technologies numériques, comme les systèmes d’intelligence artificielle, pour ne citer que les développements technologiques les plus récents. Dans ces circonstances, la question la plus fréquemment soulevée est de savoir si les systèmes juridiques sont suffisamment équipés pour faire face aux nouvelles exigences juridiques et pour réglementer de manière adéquate l’éventail des situations qui pourraient résulter de ces développements technologiques.

Cette fois, nous ne vivons pas un développement technologique mais, au contraire, une urgence sanitaire qui peut être considérée comme l’une des plus importantes et des plus perturbatrices depuis le siècle dernier. Une fois de plus, il faut envisager la possibilité de permettre aux acteurs juridiques d’adapter les règles juridiques à des situations nouvelles et, malheureusement, inattendues, afin qu’elles reflètent mieux les circonstances factuelles des situations en question.

Nul ne peut être obligé à un certain traitement médical, sauf en vertu de la loi. La loi ne peut en aucun cas violer les limites imposées par le respect de la personne humaine ».

[1]C. Galli, A. Contini, Stampanti 3D e proprietà intellettuale: opportunità e problemi, Rivista di Diritto Industriale, fasc. 3, 2015, p. 115.

[2] Nous souhaitons mener notre réflexion en ne prenant en considération que le régime juridique italien de la propriété industrielle. En effet, il est bien connu que le Code Civil italien prévoit, à l’Article 2045, la possibilité que dans une situation objective de nécessité, le sujet qui a commis la faute (en l’espèce, la violation des droits de brevet du Fournisseur) soit appelé à payer une indemnisation à la personne dont les droits et les intérêts ont été violés par ladite faute.

[3]Article 56.03 du UK Patent Act de 1977 (tel que modifié). Plus d’informations sur l’exception de la Couronne disponible sur ce lien.

[4] Ibidem.

[5]Article 68 du code de la propriété industrielle : « 1. la faculté exclusive conférée par le droit des brevets ne s’étend pas, quel que soit l’objet de l’invention : […] a) aux actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales ; [… »” [traduction de l’italien par les auteurs].

[6]Article 68 du CPI : « 1. la faculté exclusive conférée par le droit des brevets ne s’étend pas, quel que soit l’objet de l’invention : […] b) aux études et aux expériences visant à obtenir, également dans les pays étrangers, une autorisation de mise sur le marché et aux exigences pratiques qui en découlent, y compris la préparation et l’utilisation de matières premières pharmacologiquement actives dans la mesure strictement nécessaire ; […] » [traduction de l’italien par les auteurs].

[7]Article 32 de la Constitution italienne : « La République protège la santé en tant que droit fondamental de l’individu et dans l’intérêt de la communauté et garantit la gratuité des soins aux personnes dans le besoin.

[8]The Verge, Volunteers produce 3D-printed valves for life-saving coronavirus treatments, publié le 17 mars 2020 – article complet accessible sur ce lien. L’article rapporte notamment la déclaration faite par l’un des deux volontaires, publiée pour la première fois sur le profil de sa page Facebook.

[9]Ibidem.

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